C'était en Novembre, il me semble, à la faculté de lettres d'Aix-en-Provence. Des étudiants sont entrés dans l'amphithéâtre où débutait mon cours d'ethnologie. Ils avaient tous un autocollant UNEF (le syndicat étudiant) au niveau du coeur et nous ont expliqué rapidement la situation. Une réforme nommée LMDE serait en vigueur l'année prochaine et aurait de graves conséquences : nos diplômes ne vaudraient plus rien à l'échelle nationale, les frais d'inscription atteindraient des montants exorbitants, les études seraient résevées aux classes supérieures... Bref, l'éducation nationale serait en cours de privatisation ! Après cette mise au point sur notre sinistre avenir, ces mêmes étudiants nous ont invité à les rejoindre à une assemblée générale au sujet des réformes ayant lieu pendant le cours. Nous avons donc procédé à un vote pour voir qui était prêt à manquer le cours pour se joindre aux partisans de l'UNEF. Plus de la moitié des étudiants présents a levé la main. Moins du tiers a finalement quitté l'amphithéâtre pour aller à l'assemblée générale, le professeur ayant signalé que le cours ne serait rattrapé en aucun cas. Nous faisions donc partie de ce petit tiers, Adrien (un ami) et moi. En effet, nous avions décidé de suivre les militants à cette assemblée générale, non pas par conviction mais simplement pour voir comment c'était...

Les étudiants de l'UNEF nous ont amené jusqu'au grand hall, point stratégique de la faculté de lettres d'Aix-en-Provence, où se tenait cette fameuse assemblée générale. Des centaines de jeunes y étaient assis par terre et attendaient que le chef de l'UNEF prenne la parole. Adrien et moi nous sommes donc assis parmi ces étudiants afin de nous fondre rapidement dans la masse. Divers militants ont alors pris la parole et ont exposé leur point de vue vis-à-vis des réformes de Luc Ferry. Le micro a même été donné à de vieux syndicalistes qui ont fait référence aux grèves du printemps 2003. Cette assemblée générale ne m'a pas semblé particulièrement intéressante, ni constructive mais l'ambiance était bonne. Il y avait une cohésion qui se formait entre les étudiants. Nous avions tous le sentiment de prendre part à un combat héroïque. Nos coeurs battaient et bouillonnaient d'impatience. Enfin, le moment tant attendu était arrivé. Un étudiant barbu et plein de charisme a pris le micro et s'est exprimé en ces termes : "Bon, maintenant que vous savez tout sur les désastreuses conséquences qu'auront les réformes LMDE, il s'agit de préparer la manifestation pour qu'on puisse foutre le waï !" Un étudiant, ne parvenant plus à contenir sa joie, a levé le poing en poussant un "ouais" qui venait du fond du coeur.

Une demi-heure plus tard, le cortège d'étudiants était en marche. Adrien m'a suggéré de gagner la tête du groupe, étant donné que c'est à cet endroit que cela semblait le plus vivant. Nous avons donc rejoint les vrais militants : ceux qui arboraient des autocollants UNEF, ceux qui tenaient des banderoles ayant sûrement servi aux manifestations précédentes, ceux qui entonnaient des slogans révolutionnaires. Peu à peu, ces partisans nous ont adopté et nous nous sommes mis à chanter avec eux. J'adorais cette atmosphère... Sans connaître les autres manifestants, je sentais tout de même que quelque chose nous rassemblait et qu'un réelle complicité s'installait. Le cortège s'est d'abord dirigé vers la faculté de droit. Nous y sommes passés en criant de plus belle devant les futurs juristes qui nous regardaient avec des yeux tout ronds. C'était jouissif ! La manifestation est ensuite allée vers la Rotonde. Je précise, pour les nombreuses personnes qui ne connaissent Aix-en-Provence, que la Rotonde est le repère essentielle de la ville. C'est un grand rond-point, surmonté par une magnifique fontaine, qui est un lieu de convergence des axes majeurs de communication de la cité. Le groupe de manifestants s'est brusquement arrêté à cet endroit.

Les militants de l'UNEF ont expliqué aux non-expérimentés, dont Adrien et moi faisions partie, qu'il s'agissait de s'asseoir, voire de se coucher, autour de la Rotonde afin de bloquer complétement la circulation. Tout le monde s'est donc exécuté et Aix-en-Provence s'est ainsi trouvée immobilisée sous la surveillance bienveillante de quelques policiers sympathiques (non, non... je ne suis pas ironique). Les slogans ont alors laissé place à un calme reposant. L'ambiance générale était désormais aux discussions et aux rires. Mais, tout à coup, un coup de sifflet strident a troublé ma quiétude du moment. J'ai regardé les quelques policiers autour de la place et j'ai constaté qu'aucun d'eux n'avait le sifflet à la bouche. Je me suis retourné et j'ai finalement identifié la personne à l'origine du bruit. C'était une jeune étudiante avec un autocollant UNEF au niveau du coeur. Elle s'est alors écriée, en rigolant, à l'attention d'un étudiant qui s'était levé : "Dis donc, toi ! Retourne à ta place !" Cette scène, ayant provoqué quelques rires, m'a plongé, pour ma part, dans un profond désarroi. Celui-ci s'est confirmé lorsque j'ai entendu l'étudiante dire à un militant, après avoir sifflé quelques autres personnes : "Je fais ça pour rire mais aussi un peu pour que les gens restent et qu'on puisse bloquer la circulation le plus longtemps possible."

A ce moment précis, j'ai eu l'impression d'être un mouton, un mouton parmi le troupeau vaillamment gardé par les bergers de l'UNEF. Si je m'éloignais un peu du groupe, il y aurait toujours quelqu'un pour me siffler et me remettre dans le droit chemin. Cet état de fait ne m'enchantait guère et j'ai fait part de mes sentiments à Adrien. Celui-ci m'a fait savoir qu'il éprouvait la même chose. De plus, aucun de nous deux ne pouvait expliquer clairement l'objet des réformes de Luc Ferry, ni la raison de notre présence à cette manifestation. Depuis le début, nous nous étions comporté comme des moutons parmi les moutons et avions suivi le troupeau, voilà tout... D'un commun accord, Adrien et moi avons donc quitté le groupe sous les sifflets des uns et les bêlements des autres.

A l'heure actuelle, je ne connais toujours pas le texte exact de la réforme LMDE.